Et voilà, lundi 13 a eu lieu la remise des prix du festival du film Paris-cinéma. Et maintenant que celui ci est terminé je peux enfin vous parler de mes coups de cœur et impressions ! Mais d’abord parlons de la compétition et du « prix émotion » que nous avions à décerner.
Il a fallu plus de 6 heures de projection pour voir les 17 courts métrages en compétition. Notre jury étant composé de 4 blogueuses et d’une présidente, les débats qui s’en suivaient étaient francs et d’autant plus rythmés qu’on était souvent en groupes de 2 ou 3 pour chaque projection. Lors de la délibération finale, il a quand même fallu 1h30 pour passer en revue chaque film et élire celui à qui l’on remettrait le « prix émotion du jury Kookaï », soit 5000 € pour aider à la distribution de l’œuvre.
En toute honnêteté, on savait toutes dès le début des débats qui remporterait ce prix. Mais on a quand même débattu de chaque film, de leurs faiblesses, leurs points forts, et leur rapport à l’émotion.
Nota: je me suis aperçue que la présence de vidéos dailymotion dans l’article saccage la mise en page dans les flux RSS. Si vous lisez cet article par RSS je vous recommande de venir liresur le blog car il y a des vidéos qui ne s’affichent pas autrement.
Au final, c’est « L’autre monde » de Romain Delange qui a remporté le prix. Il a même fait l’unanimité (à un petit regret près).
Un film qui aurait pu s’adapter au format long métrage, mais qui garde un je ne sais quoi de poétique à rester au format court. Adapté d’une nouvelle (parue chez le Seuil) par l’auteur lui même de la nouvelle, c’est un joli moment de cinéma qui parle de l’amitié entre deux jeunes hommes et de l’évolution de chacun. On y retrouve tous les thèmes en rapport : les dernières vacances, les filles, la fin des études, la découverte des métiers, le passage à un âge moins tendre.
J’aime le ton intime et respectueux du récit. L’affection et l’admiration qui transparaissent pour ce qui y est filmé. Le côté réaliste des scènes et en même temps cette absence totale de voyeurisme. Cela donne un scénario fort et équilibré, qui laisse transparaître le talent de scénariste de Romain Delange. En plus, l’évolution douce des personnages, qui laisse un peu à désirer lors du récit, prend une tournure tout à fait émouvante lors du dénouement et la remise en question qu’on attendait se trouve effacée par l’émotion qui la dépasse. Vraiment, j’aime. Il y a du talent à suivre dans ce court métrage.
En 1995, deux amis entrent dans leur vie d’adulte. Alors que David, courageux et idéaliste, s’engage dans l’armée pour devenir casque bleu et se retrouve plongé au cœur du conflit yougoslave, Julien participe pour la première fois au tournage d’un long métrage. L’Autre Monde est le récit émouvant d’une amitié qui perdure malgré la distance physique et les voies opposées empruntées par les deux jeunes hommes. Construit sous la forme d’une correspondance épistolaire, le récit fait cohabiter le quotidien de David, filmé dans un camp d’entraînement puis sur le terrain, et la voix de Julien, qui lui écrit. Progressivement, Romain Delange accentue le décalage entre image et son, donnant la sensation que les deux individus gravitent dans des univers différents. Vibrant hommage au cinéma, le film tisse avec sensibilité une histoire d’amitié émouvante, où les regrets se mêlent à la nostalgie d’une jeunesse insouciante.
Si j’ai dit que « L’autre monde » remportait le prix à l’unanimité « ou presque », c’est qu’une autre œuvre le talonnait de près. Personnellement je plaçait cet autre film dans le podium de tête, mais il ne correspondait pas assez à la notion d’émotion que j’attendais pour le lauréat. Il s’agit de « Luxury », un court métrage de 39 minutes réalisé par Jarek Sztandera et traitant de pédophilie, prostitution, pauvreté et de dépendance aux autres.
Compétition internationale] Luxury (extrait)
À la gare de Varsovie, la veille de Noël, Luxury, un adolescent prostitué délaissé par son « protecteur » qui le juge trop vieux pour ses clients pédophiles, rencontre un jeune garçon en passe de suivre sa voie. Alors qu’un proxénète propose à Luxury de devenir rabatteur, celui-ci doit choisir son camp : exploiter son nouvel ami ou l’aider à construire une autre existence. Filmé en décors réels, ce court métrage est une plongée dans l’univers sombre de la prostitution juvénile. Sans jamais fléchir dans la mise en scène, le jeune cinéaste parvient à maintenir tout au long de l’oeuvre une tension à laquelle s’adjoint progressivement l’émotion. Grâce à un excellent jeu d’acteurs, il instille une atmosphère terrifiante où s’entremêlent peur, séduction et manipulation. Tristement réaliste, ce récit d’enfants perdus et d’adultes prédateurs aborde avec justesse et émotion un thème tabou rarement traité au cinéma.
Enfin il y avait un troisième film qui disputa la première place avec les deux précédents. Un film toujours classé parmi les préférés chez chaque membre du jury ; pour moi il était d’ailleurs juste derrière « L’autre monde ». D’Alejandra Rojo, le film « Icara » est une histoire mi-fantastique, mi identitaire, qui mêle avec talent les thèmes de la maternité, de l’ambivalence des identités et des classes sociales. Avec 22 petites minutes, la réalisatrice a su créer une ambiance, des personnages habités et une toile entremêlée d’émotions. Il ne va pas sans dire qu’on se délecterait avec plaisir d’une seconde projection (en privé) pour mieux apprécier les finesses du scénario.
Marisol, Guatémaltèque élégante et raffinée, est mariée à François, un homme de la bourgeoisie provinciale. Ils viennent d’avoir un enfant, sa vie semble parfaite. Toutefois, Marisol pense être incapable de gagner l’amour de son bébé et cette angoisse tourne à l’obsession. Se croyant victime du mauvais œil, elle convainc son mari de faire venir une nourrice du Guatemala. L’arrivée d’Icara va bouleverser son existence… Icara commence comme un cauchemar lancinant : la belle Marisol erre au milieu d’une soirée mondaine, son bébé hurlant dans les bras. Puis, Alejandra Rojo déroule un récit insidieusement malsain, où Marisol, loin de trouver l’apaisement souhaité, déploie une relation de dépendance absolue vis-à-vis de la nourrice. Entre atmosphère surréaliste latine et dialogues tirés au cordeau, la réalisatrice tisse une histoire où l’imaginaire et la critique sociale puisent toute leur force et confirme les qualités de ses travaux précédents, parmi lesquels le très remarqué Soins et Beauté (1999).
Ces trois là furent vraiment les préférés du jury en ce qui concerne la selection Kookaï. Mais je présenterai dans un dernier billet les quelques autres petites perles que je retiens de la séléction 2009 et qui gagnent elles aussi à être connues !